L’acte du regard ne tire pas ses qualités du simple fait d’oser fixer les choses. Encore faut-il les percevoir autrement qu’elles ne sont. Rien n’existe tant qu’il n’a pas été vu par un oeil qui invente et s’approprie et refait exister ce qu’il voit jusqu’à ce que par son intervention on ne puisse plus percevoir autrement.                                                                                                                                                                                                                                                                                                         Patrick Roegiers .L’œil ouvert. Un parcours photographique 1983 – 1998.Nathan, Paris, 1998

Quand j’ai regardé pour la première fois les photographies d’Alain Sauvan sur l’étang de Berre une impression d’étrangeté m’a fait me demander si je n’étais pas en terra incognita.
Quid du pont Flavien, des pêcheurs, des ruelles et canaux de Martigues, des toiles de Ziem, du rocher de la Mède, des raffineries, de l’aéroport… ? Quid de cet espace chargé d’Histoire, artistique, économique, écologique et sociologique ? Ici, rien de tout cela. Alain Sauvan s’extrait de tout documentarisme, bien loin d’un enregistrement mécanique, pour nous livrer une série où l’invitation au voyage passe par la méditation… une certaine idée d’harmonie.
Sa matière photographique revendique avec exigence une interprétation et une exploration toute personnelle... quand la création l’emporte sur le réel photographié. Le refus du sujet, voire de l’engagement, nous conduit au motif et au motif uniquement. Pourtant, rien n’est créé, tout est là, sous nos yeux…Il n’invente rien, ne truque rien, il agit en révélateur par la seule perspicacité de son regard. Ce regard, quasi pictorialiste, il est travaillé, il est le résultat d’une culture, du temps passé à voir… depuis des années Alain Sauvan parcourt les Musées, photographie des œuvres, des collections, des architectures, des intérieurs… cette culture de l’image elle est là, présente… jamais étouffante mais présente, digérée, appropriée… avec élégance, sprezzatura.
Le cadrage serré des images qu’il compose sait jouer sur l’imprévu des compositions, en rejetant tout pittoresque, toute narration. Il montre comment son œil apprivoise le paysage au fur et à mesure, comment de la nature il glisse vers l’homme ou plutôt vers des traces d’humanité (fragment d’usine, route, barrière, mur…). Le noir et blanc est là pour imposer des lignes, que rien ne pourrait perturber. Le tronc d’arbre est alors l’égal de la cheminée d’usine. Le format carré rejoint cette idée, comme une assurance de stabilité. Mais, quand on s’y arrête, quand on prend le temps, on s’aperçoit à quel point tout est fragile… une branche, un reflet, une ombre, le vent, l’écume…Tout n’est qu’air, fluidité, vibration, respiration. Et c’est peut-être là que se trouve la finesse d’Alain Sauvan… dans ce travail constant sur l’interstice du regard… cet entre deux du regard qui se pose et du regard qui lit.


« Rien ne peut-être plus abstrait que ce que nous voyons réellement » Giorgio Morandi.



                                                                      Rémy Kerténian Historien d’Art Avril 2009