À l’écart, un jeune ultra attend tranquillement devant une large vitre teintée. Le photographe est surpris par l’air sage du minot qui contraste avec l’effervescence du moment. Sauvan n’hésite pas. Il s’approche et déclenche l’appareil.
A t’il vu son propre reflet sur la vitre ? Il y’a fort à parier que ce soit le cas. Est-ce indispensable d’en être certain ? Doit-on impérativement savoir si le photographe pense à sa pratique sur l’instant ? L’ « auto projection contextuelle »  est-elle forcément un geste calculé dans la photographie ? 
 Sauvan nous est visible car il parvient à se laisser aller. Il n’est pas emprisonné dans un rôle de témoin oculaire, même si au travers d’un réflexe embarrassant nous finirons toujours par dire que ses photos « témoignent de […] ». Il n’en demeure pas moins que le photographe souhaite partager autant qu’il le sait, voir autant qu’il le peut. Peu importe qu’il le signifie (consciemment ou inconsciemment) au travers d’une image.
Quand Sauvan se trouve face au jeune de la gare Saint-Charles, cela fait un certain temps qu’il suit les « enragés » du virage sud. Il connait bien l’odeur du parfum qui plane juste avant le départ pour un match lointain. Partir, avaler les kilomètres, songer à l’arrivée. Entre temps, les images défileront et il n’est pas dit qu’elles soient nombreuses à imprimer la pellicule. Photographier une aventure humaine, ce n’est pas être sans cesse sur le qui vive, prêt à surgir pour arracher la moindre respiration d’une hypothèse sans souffle.
Sauvan ne cherche pas à documenter à tout prix. Il vit avec son sujet et signe son adhésion au collectif. Lors de ces déplacements avec les ultras, partageant parfois l’inconfort et la promiscuité, il n’est plus celui qui « vient prendre des photos ». Il est profondément associé au groupe. C’est pour cette raison qu’il arrive parfois à « disparaître et "faire des photos comme s’il n’y avait pas de photographe" » . Certes, le portrait de la gare Saint-Charles s’inscrit en contradiction si nous comprenons le reflet comme un signe à lire au premier degré. Au-delà, il nous dit que le rapport entre Sauvan et son sujet réside dans la distance tracée par un geste. Un geste qui laisse planer le contenu fondamental d’une motivation, vivre les instants d’une aventure et découvrir les formes de partage qu’elle libère.
Ainsi, tout au long de son parcours, Sauvan renverra le sourire du Virage Sud, s’autorisera à retranscrire le Oaï  ou tout simplement la vie.

Extrait de « Photographier le phénomène ultra. Regards extérieurs et pratiques vernaculaires Italie - France, 1977 – 1991 »                                                                                       
 François Bachelard
Mémoire de Master 2 Histoire de la Photographie Université Panthéon Sorbonne Sous la direction de Monsieur Michel Poivert